Par Jean-Pierre Mbelu
Il y aurait une raison historique au rejet du livre dans plusieurs milieux congolais. Il est dangereux. L’un d’eux, reconnu mondialement comme héros national, a osé lire. Mieux, il a dévoré les livres au point de se passer de l’enseignement officiel. A une trentaine d’années, sa maturité intellectuelle et sa curiosité impressionnaient. Il a su, à partir de ses lecteurs et des contacts avec les mouvements africains de libération, formuler en quelques mots, les grandes aspirations de ses compatriotes et de son pays : « un salaire décent, l’admission des plus compétents à des postes à responsabilité, l’intégration de nationaux dans l’administration coloniale, la fin des humiliations. »
Ses lectures et ses contacts ont fait de lui, à la fois « un homme incontrôlable » et « un homme à abattre ». « Et pour cause, il ne se laisse ni séduire ni corrompre et les peines de prison qui le frappent ne font qu’accroître sa popularité. » Frantz Fanon ne s’y trompait pas quand il écrivait ceci : « Lumumba devait disparaître. Pourquoi ? Parce que les ennemis de l’Afrique ne s’y étaient pas trompés. Ils s’étaient parfaitement rendu compte que Lumumba était vendu, vendu à l’Afrique s’entend. C’est-à-dire qu’il n’était plus à vendre. »
Lumumba et le crime de la pensée
Autodidacte, Lumumba fut passible du « crime de la pensée » en dévorant les livres. Or, « on sait combien les livres jouent un rôle majeur dans la pensée : « Ils apprennent à réfléchir, à argumenter, à disserter, à développer une réflexion, à raisonner, à juger, à examiner, à concevoir, à développer son esprit critique ; ils permettent aussi de prendre connaissance du passé, de sa propre culture ; ils rendent envisageable la création de nouveaux mondes donc de futurs possibles. Voilà pour quelles raisons ils sont dangereux. » (M. ONFRAY, Théorie de la dictature, Paris, Robert Laffont, 2019, p.89)
« Dangereux », les livres doivent être traqués et détruits. La faible existence des bibliothèques et des maisons d’édition au Congo-Kinshasa pourrait (aussi) s’expliquer à partir de cette « subversion » à laquelle les livres peuvent conduire et à l’insurrection des consciences qu’ils peuvent rendre possible.
« Dangereux », les livres doivent être traqués et détruits. La faible existence des bibliothèques et des maisons d’édition au Congo-Kinshasa pourrait (aussi) s’expliquer à partir de cette »subversion » à laquelle les livres peuvent conduire et à l’insurrection des consciences qu’ils peuvent rendre possible.
Bon ! Dieu merci ! Plusieurs compatriotes n’ont pas renoncé à tous les livres. Ils en ont un qu’ils consultent à temps et à contretemps : la Bible. Bon ! Ils feraient mieux d’en étudier l’exégèse, l’herméneutique, la théologie et la christologie pour une meilleure approche. Ils pourraient aussi, pour mieux la comprendre, étudier un peu de philosophie du langage, un peu d’Hébreux, un peu d’Araméen, un peu d’histoire des religions, un peu de sciences humaines, ou tout simplement les auteurs ayant travaillé dans ces différents domaine de la pensée, etc.
Malheureusement, cet effort exigerait de plusieurs compatriotes de goûter à « la dangerosité » des livres. Ils n’en veulent pas. Ils pourraient devenir d’autres Lumumba. Ils pourraient être assassinés comme lui. Ils aiment vivre et pas mourir. Voilà !
Le souvenir de Lumumba s’impose toujours
Les livres sont très « dangereux ». Ils ont conduit Lumumba à la mort. Au point de faire dire ceci à Colette Braeckman : « Le fameux discours qu’il prononce devant le roi Baudouin, le 30 juin 1960, qui résume les griefs et les aspirations des Congolais ne sera pas la cause de sa mort : il y a longtemps que Patrice Lumumba était l’homme à écarter. Politiques, médiatiques, militaires : tous les moyens seront mis en œuvre et la fusillade dans une clairière du Katanga ne sera que le point d’orgue d’une histoire tragique. Mais la mémoire des peuples est têtue et le souvenir de Lumumba s’impose toujours. »
La création des Universités et des Centres de recherche Lumumba au cœur de l’Afrique devrait accompagner le retour de cette « dent triomphale ». Non. Lumumba n’est pas mort. Il est toujours vivant.
Et moi de poser cette question : « Pourquoi, souvent, les médias mainstream ne reconnaissent la valeur de nos héros que longtemps après leur mort ? » Peut-être parce que « vérité eyaka na escaliers ». C’est possible ! Peut-être, parce que les médias mainstream participent de la propagande mortifère conduisant à l’assassinat et à la mort de nos héros. C’est aussi possible !
De toutes les façons, dans un monde où les médias « officiels » font partie des moyens utilisés par « les maîtres du monde » pour préparer l’opinion publique à l’acceptation de la mort des meilleurs d’entre nous, les médias alternatifs demeurent une solution de contournement.
Dieu merci ! Jean-Paul Sartre avait bien vu quand il écrivait ceci : « Mort, il (Lumumba) va cesser d’être une personne pour devenir l’Afrique. » Oui. Il est déjà devenu l’Afrique. Il va le devenir davantage avec les pèlerinages organisés au lieu où « sa dent de la victoire » ira bientôt reposer. Ils pourront participer du rejet de la réduction de l’identité congolaise à nos différentes tribus et nous unifier pour la réappropriation de nos 2.345. 000 km2 dont parle Mufoncol Tshiyoyo dans l’un de ses derniers articles intitulé « Le retour des reliques de Lumumba au Congo, une nouvelle perspective idéologique pour le pays ».
La création des Universités et des Centres de recherche Lumumba au cœur de l’Afrique devrait accompagner le retour de cette « dent triomphale ». Non. Lumumba n’est pas mort. Il est toujours vivant. Oui, «la mémoire des peuples est têtue et le souvenir de Lumumba s’impose toujours.»
Que vive à jamais « le subversif Lumumba » !
———————————-
– Une dent, dernier souvenir de Patrice Lumumba, sera enfin restituée à la famille
– M. ONFRAY, Théorie de la dictature, Paris, Robert Laffont, 2019
– F. FANON, Oeuvres, Paris, La Découverte, 2011
– M. TSHIYOYO, Le retour des reliques de Lumumba au Congo, une nouvelle perspective idéologique pour le pays